Julien Pelletier est responsable prospective et international à l’Anact et membre du comité scientifique de l’enquête lancée par CHORUM pour évaluer la qualité de vie au travail dans les structures de l’ESS où salariés et dirigeants sont invités à participer à ce premier baromètre national soutenu par l’Anact. Il répond ici à nos questions sur cette initiative et les enjeux de la notion de qualité de vie au travail.

 

CIDES : L’Anact se dit au service de l’amélioration des conditions de travail. Pourriez-vous nous définir la qualité de vie au travail et nous expliquer pourquoi il est important de la mesurer ?


L’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) a fait sienne la définition élaborée par les partenaires sociaux que l’on retrouve dans l’accord National Interprofessionnel sur la sécurisation de l’emploi signé au début de l’année et voté ensuite au Parlement :  » Les conditions dans lesquelles les salariés exercent leur travail et leur capacité à s’exprimer et à agir sur le contenu de celui-ci déterminent la perception de la qualité de vie au travail qui en résulte. » Cette définition convient parfaitement à l’action sur les conditions de travail ; elle est globale, et permet d’intégrer les différentes dimensions du travail que sont les conditions d’emploi et de travail, son organisation, la participation et le partenariat social et les effets du travail sur les individus et les collectifs. L’enjeu n’est pas simplement de mesurer, mais plutôt d’évaluer les résultats de la mesure pour transformer le travail et ses conditions de réalisation. La mesure n’est que la première étape d’un processus orienté vers la qualité du travail, le développement professionnel et l’amélioration de la performance sociale et économique.
 
 
CIDES : On comprend facilement l’intérêt de mesurer et d’améliorer la qualité de vie au travail pour les salariés. En quoi est-ce également important pour les entreprises ?

Réfléchir sur la qualité de vie au travail est aujourd’hui nécessaire. Ces dernières années ont été marquées par le poids de la finance dans l’entreprise avec un double effet : un sentiment d’inéquité dans la répartition des profits entre actionnaires et salariés et des exigences plus fortes en termes de reporting (performance à court-terme, charge de travail croissante). L’individualisation des modes de gestion et la rationalisation des organisations flexibles ont également contribué à intensifier le travail. Ces facteurs ont parfois déclenché une perte de sens et une crise de management amplifiée par la crise économique et l’insécurité d’emploi. Le tout génère des formes de désengagement au travail et de la méfiance envers l’équipe dirigeante. Les salariés ont le sentiment de ne pouvoir influer sur la conduite de l’entreprise alors même qu’ils participent de son succès et qu’on leur demande de s’impliquer de « plus en plus ». Dans ce contexte, c’est le mode de management, les modalités de fonctionnement des organisations qu’il faut revoir. Ce renouvellement des formes d’organisation du travail ne peut se faire sans l’implication des salariés. La question de leur engagement se pose avec d’autant plus d’acuité que face à l’instabilité des marchés et l’intensification de la concurrence les entreprises sont sommées de renforcer leur capacité d’innovation et, donc, de repenser le management, l’organisation et la coopération dans le travail. 

CIDES : L’ESS est un secteur bien particulier, avec des activités et problématiques souvent différentes de celles du secteur classique. Pensez-vous que les besoins des salariés sont les mêmes ? Quelles spécificités identifiez-vous dans la mesure de la qualité de vie au travail dans l’ESS ?

La question n’est pas celle des « besoins » des salariés mais celle des « projets »: « mon chien a des besoins, mon fils a des projets ». La difficulté est d’articuler projet professionnel, trajectoire de l’entreprise et évolutions du marché. Selon quelles modalités de gestion et d’organisation articuler ces trois mouvements aux « tempo » différents ? On peut utiliser ici quelques mots clés : perspectives de marché, prospective métier, autonomie au travail, responsabilisation et reconnaissance, soutien des collectifs, management participatif, dialogue social… Ces modalités de gestion et d’organisation ont fait leurs preuves. Bien entendu, chaque secteur, entreprise ou métier a ses spécificités. Mais l’ESS est aussi confronté à l’impératif de restriction budgétaire, de reporting et d’évaluation de la qualité des prestations, d’exigences accrues des bénéficiaires qui se comportent de plus en plus comme des « clients ». Bref, tous les secteurs sont confrontés grosso modo aux mêmes types de contraintes en termes de gestion et d’organisation. Cela dit, la démarche « Qualité de vie au travail » est par définition adaptée à toutes les situations : ce processus participatif s’appuie sur l’expression des salariés – expression qui peut passer par un questionnaire mais ne doit pas se limiter à cela. Ces derniers doivent aussi avoir accès aux résultats de la « mesure » et pouvoir en débattre collectivement. L’évaluation de la qualité de vie au travail passe d’abord par ce débat collectif puis par des expérimentations au plan de l’organisation, des parcours, du fonctionnement d’équipe, etc., qui peuvent être testées, évaluées, ajustées, et enfin déployées. C’est justement ce caractère expérimental et participatif qui permet d’intégrer les spécificités locales ou de secteur.