Le dernier numéro du trimestriel Santé & travail paru au mois de mars consacre son dossier au « blues des managers » : marges de manœuvres de l’encadrement de plus en plus réduites, souffrance éthique, etc.

« Management empêché, santé dégradée »

« Les managers sont accaparés par des tâches gestionnaires, extérieures à l’activité réelle, ils n’ont plus les moyens d’accompagner leurs équipes face aux difficultés du travail. (…). Et la fragilisation des personnels comme des encadrants, loin de procéder d’une hyper présence du manager qui mettrait la pression et deviendrait parfois harcelant résulte… d’une absence de management ! C’est ce qui ressort des études menées dans le cadre du programme de recherche Santé et organisation conduit à l’université de Nantes. Dans les organisations étudiées par ce programme, il apparaît qu’au moment où les salariés affrontent des contraintes accrues dans leur travail, suite notamment à une multiplication des objectifs de performance (…), le management déserte la scène du travail ». Parce qu’ils « se consacrent désormais à d’autres tâches, extrêmement consommatrices de temps (…). En l’absence de manager, les équipes sont ainsi laissées seules face à des contraintes de moins en moins comprises, car jamais explicitées ni discutées (…). Le sens du travail quotidien se brouille sous l’effet des multiples prescriptions en tension. (…) L’éloignement du manager du travail sape les bases de son autorité ».

« Un encadrement de plus en plus en plus encadré »

« L’encadrement est de moins en moins une affaire de cadres. De plus en plus délégué à des acteurs de proximité, parfois ouvriers ou employés qualifiés, il s’accompagne d’une moindre autonomie et de contraintes plus fortes (…) ». Ainsi, si les « transformations qu’ont connues les organisations depuis le début des années 1980 ne se sont pas traduites par une diminution du nombre d’encadrants ni par un affaiblissement de leur rôle (…) le contenu de même leur activité a subi de profonds changements (…), et les encadrants sont de plus en plus nombreux à considérer que leur rythme de travail est « contraint » par un dispositif technique et la pression de la demande augmente elle aussi sur cette population (…). La proportion d’encadrants « contraints », qui exercent leur activité sous la pression des collègues, de la demande, de la hiérarchie ou d’un équipement technique, double entre 1984 et 2005. De la même façon, la part d’encadrants exposés à des conditions de travail difficile croît spectaculairement. En 2004, les encadrants devant travailler dans des conditions physiquement éprouvants sont parfois jusqu’à trois fois plus nombreux que ce qu’ils étaient en 1984 ».

« Jean ou la souffrance éthique du manager »

« Ne plus pouvoir faire un travail de qualité et devoir le justifier auprès de ses collaborateurs, en reniant ses propres valeurs éthiques peut mener un manager à la dépression, c’est ce qui est arrivé à Jean, cadre dans la banque assurance : en septembre 2 000, Jean intègre un groupe de bancassurance. En charge d’une agence de quatre personnes, avec une fonction de responsable du marché des particuliers, il fait de la coordination managériale un tiers de son temps. Au bout de deux ans, il devient responsable de trois agences puis de cinq. Il fait exclusivement du management (…). Six ans plus tard, Jean est confronté à une nouvelle organisation et à un nouveau type de management, en rupture avec les valeurs de l’entreprise qu’il connaissait. Ces pratiques managériales sont déclinées d’une façon qu’il perçoit comme « désincarnées, manipulatrices ». Il faut trouver des cas « RH » dont l’entreprise devrait se débarrasser. Est aussi instaurée une gestion de « faux indicateurs virtuels ». Le travail réel n’est pas pris en compte. S’y substituent des jugements sur l’individu, sur l’être. (…). Il perçoit que son travail de manager, fondé sur des valeurs humaines et la prise en compte de l’activité de ses collaborateurs est de plus en plus impossible à réaliser (…). Il doit de plus en plus faire ce qu’il réprouve et perd progressivement sa capacité d’agir sur le réel… Jean commence à douter de lui-même, de ses compétences. (…) Le socle de son identité professionnelle s’effondre. (…). Il est mis en arrêt de travail pour « syndrome anxiodépressif important ». En trente et un ans, il ne s’était jamais arrêté ».