La généralisation de la complémentaire santé à tous les salariés à compter du 1er janvier 2016 pourrait déboucher sur la mise en place d’une couverture a minima. C’est le point de vue de nombre d’experts qui envisagent déjà le développement de la surcomplémentaire santé. Et considèrent que l’opérateur du deuxième étage sera le mieux placé pour emporter le troisième étage. Les entreprises ayant les moyens pourront vouloir utiliser la surcomplémentaire comme un critère différenciant face à leurs concurrentes.

En vertu de la loi sur la sécurisation de l’emploi adopté au Parlement le 14 mai, tous les salariés bénéficieront d’une complémentaire santé financée pour partie par l’employeur à compter du 1er janvier 2016. Une réforme saluée par tous comme une avancée et qui concerne 4 millions de salariés qui payent aujourd’hui de leur poche un contrat individuel et 400 000 autres qui n’ont aucune couverture complémentaire. Cependant, cette disposition risque d’engendrer des aménagements dans les entreprises qui n’ont pas forcément été anticipés.

Socle a minima qu’il faudra dépasser

Nombre d’experts s’attendent, en effet, à ce que ce deuxième étage de complémentaire santé généralisé soit un socle a minima, bien moins généreux qu’aujourd’hui. Car les pouvoirs publics ont chargé le Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie (HCAAM) de définir, d’ici à l’été, un nouveau contrat responsable plus solidaire et de remettre à plat les exonérations fiscales et sociales allouées aux contrats collectifs d’entreprise.

L’une des pistes semblent de maintenir ces exonérations en les attribuant à des contrats certes responsables mais bien moins avantageux qu’aujourd’hui.

Ce qui permettrait, au passage, de reverser le surplus des exonérations aux contrats individuels qui ne bénéficient pas d’aides publiques, selon le souhait réitéré de la Mutualité Française.

Dès lors, toutes les entreprises seraient concernées par la limitation des exonérations à ce deuxième pilier resséré. Ce qui ne manquerait pas de poser la question de la surcomplémentaire. « Plus on va contraindre le deuxième pilier en plafonnant les exonérations, plus on va tomber dans le problème du reste à charge. Les cadres des grandes entreprises vont vouloir se payer des surcomplémentaires », commente Stanislas de Corlieu, courtier et conseil spécialisé en protection sociale chez S2C Conseil. Selon ce dernier, il faut bien avoir à l’esprit que pour les salariés : « la complémentaire santé fait partie du package, avec l’épargne salariale, les tickets-restaurant et la retraite supplémentaire. Or, aujourd’hui, la question n’est plus : est-ce qu’il y a une mutuelle ? La question est devenue : quel est le niveau des remboursements de la mutuelle ? ».

Vers des exonérations sur les surcomplémentaires ?

Pour certains, ce marché de la surcomplémentaire devrait se développer par le biais de contrats individuels ou d’options facultatives dans le contrat collectif obligatoire. Dans tous les cas, chacun l’admet, l’opérateur qui détiendra le contrat de deuxième étage sera le mieux placé pour remporter le marché du troisième étage. Ce qui ne manque pas de donner un nouvel éclairage à la bataille qui se joue actuellement autour de l’enjeu des « clauses de désignation ». Après de multiples rebondissements, la loi sur la sécurisation de l’emploi a entériné le fait que les partenaires sociaux d’une branche auront la faculté de choisir par le biais de cette « clause de désignation » un opérateur unique pour toutes les entreprises du champ d’activité. Une décision qui avantage les institutions de prévoyance généralement désignées par les partenaires sociaux au détriment des mutuelles et des sociétés d’assurances. Et qui reste sujet à controverse puisque 95 sénateurs et 71 députés UMP viennent de saisir le Conseil constitutionnel à ce sujet (le 15 mai).

Cela dit, si se généralisait ainsi une assurance maladie à trois étages (Sécurité sociale + complémentaire à panier défini et exonéré + surcomplémentaire), ce serait une nouvelle configuration du système.

Pour le président de l’ANDRH, Jean-Christophe Sciberras, on peut très bien imaginer qu’à terme « la surcomplémentaire passe par la négociation collective dans les entreprises et bénéficie aussi d’exonérations ». On doit avoir à l’esprit que « les entreprises ayant des moyens pourront vouloir utiliser la surcomplémentaire comme un critère différenciant face à leurs concurrentes. Puisque la retraite supplémentaire bénéficie d’exonérations (art. 83, PERCO…), pourquoi pas la surcomplémentaire santé collective ? »

Scénario des contrats « enveloppants »

Pour sa part, Joël Royers, consultant senior actuaire en charge de la prévoyance -santé au sein du cabinet Towers Watson, prédit un autre scénario. Il y a, selon lui, effectivement un danger d’avoir un panier minimal de complémentaire santé fiscalement et socialement favorisé. Pourtant, cela ne devrait pas entraîner un retrait de l’entreprise sur la partie non aidée par des exonérations : « C’est un sujet tellement sensible pour les salariés que l’on voit mal les entreprises leur annoncer une baisse drastique du panier remboursé avec possibilité de prendre une surcomplémentaire individuelle ». Joël Royers pense plutôt qu’elles mettront en place des contrats dits « enveloppants », c’est-à-dire avec une partie défiscalisée et l’autre non. Ce qui sera plus indolore pour les salariés.

Quant à savoir si le développement de ce troisième étage risque de bénéficier aux meilleurs salaires, là encore Joël Royers n’y croit pas : « Il y a aujourd’hui une tendance de fond à l’harmonisation cadre-non cadre en matière de complémentaire santé. Aujourd’hui, sur la base d’une étude récente portant sur 1 million de salariés, 66% des régimes sont déjà identiques. Cette tendance devrait se poursuivre ».

Reste que la généralisation de ce deuxième étage obligatoire dans les entreprises en vertu de l’ANI du 11 janvier peut aussi déboucher sur une interrogation autour de sa raison d’être. Un observateur proche du dossier souligne que si le panier du nouveau contrat responsable est solidaire (entre les générations) et contraint, la question pourrait assez vite se poser de son rattachement à l’assurance maladie de base. Les organismes complémentaires perdraient alors le marché du deuxième étage et n’auraient plus qu’à se rabattre sur celui du troisième étage. Une hypothèse qui est d’ailleurs envisagée dans le rapport du think tank du Parti socialiste, Terra Nova, à paraître courant juin 2013 (cf. article Miroir Social, 25/04/2013, Terra Nova prépare un rapport prônant un deuxième étage obligatoire de complémentaire santé).